Dans un bar parisien, quelques jours après être rentré, je discute avec des amis. L’un d’eux me demande:
— Alors? Pas trop dur le retour?
— Ca va. Je suis content d’être rentré.
— Ah oui!… Etonnant. Bah tant mieux alors!
J’ai l’impression que ma réponse le prend à contre-pied. Il cherche un instant la sincérité dans mon regard pour vérifier si je ne fais pas bonne figure. Je le sens, il est sceptique. Il s’imagine qu’après avoir vécu une vie hors sol pendant des mois, l’atterrissage ne peut être que dur – voire très dur. S’il pouvait me passer au détecteur de mensonge, il serait à peu près certain d’y déloger l’imposture, l’affreux mensonge d’un homme aux abois au bord d’un gouffre existentiel. Et pourtant tout va bien. Merci.
Dans la liste des questions les plus ressassées du retour, celle-là prétendrait certainement au podium. On pourrait s’étonner de cette question. C’est étrange tout de même quand on sait que l’on a vécu toute sa vie ici, que nos racines, nos amis, notre famille, notre culture, notre langue y sont, de penser que le retour sera forcément difficile.
Y aurait-il des raisons d’aller mal quand on rentre de voyage?
Prophétie d’un crash existentiel
Le retour d’un long voyage est un événement redouté. Chaque fois des esprits chagrins me prédisent le spleen, souvent les voyageurs eux-mêmes, car pour une part d’entre eux, ils ont mal vécu leur retour. Une sorte de mal du pays dans leur pays. Et sur nombre d’aspects, il y a de quoi.
Les longs voyages bousculent à peu près tout. Chaque jour apporte son ensemble de découvertes, de rencontres et de surprises qui rend la vie trépidante. Notre routine explose en plein vol, et la plupart du temps, on aime ça.
Alors quand vient le temps de reposer les pieds sur sa terre natale, le vent glacial de Roissy risque de souffler la déprime. On a le sentiment de revenir à la case départ. On se réveillait depuis des mois en se demandant ce qu’on allait découvrir, voir ou faire mais, brusquement, il faut se rendre à l’évidence: c’est fini.
Je suis toujours étonné de constater, à chaque fois, à quelle vitesse je reprends mes marques comme si les mois écoulés n’avaient pas réellement existé. Ceci s’explique peut-être par une raison simple: le voyage n’est pas la vie. C’est une parenthèse – aussi longue soit-elle – qui a vocation à se fermer. Ma vie, en majorité, se déroule, ici, en France. Il est donc normal que je renoue avec mes habitudes en moins de temps qu’il n’en faut pour enlever mon chapeau (même si j’ai pas souvent de chapeau).
“Le voyage est une espèce de porte par où l’on sort de la réalité comme pour pénétrer dans une réalité inexplorée qui semble un rêve.” Guy de Maupassant. Au soleil.
Ce qui est dur avec le rêve, c’est qu’une fois réveillé, il s’évanouit peu à peu. Alors pour ne pas le perdre, on abreuve nos amis, notre famille, d’anecdotes sur le paysan du Laos, l’éléphant du Botswana ou les chants tibétains du Sichuan. La meilleure façon de ranimer les braises à demi-morte du voyage reste d’en parler. Mais l’oreille amie n’est attentive que le premier jour. Allez, peut-être le deuxième, puis la conversation s’en va ailleurs, et c’est bien normal. Est-ce que vous écoutez votre ami parler en détail de ses derniers mois au travail?
« En somme, je m’aperçois que les voyages, ça sert surtout à embêter les autres une fois qu’on est revenu ! »(Sacha Guitry)
Chacun a vécu pendant votre absence, désormais vous êtes de retour et vous réintégrez le tableau, voilà tout. Mais ce retour à la réalité provoque souvent un sentiment de solitude.
Le décalage se renforce encore quand vous remarquez davantage les petites incivilités, que vous tolérez moins la mauvaise humeur, les mines renfrognées, les plaintes machinales… Vous avez l’impression de rentrer dans un pays où flotte un esprit soucieux, esprit que vous aviez laissé en partant.
Peut-être a-t-on tendance à idéaliser, à trouver l’herbe plus verte de l’autre côté de la frontière, cela se discute, mais la question n’est pas là: le fossé avec les autres paraît plus profond et l’envie de le combler en repartant à nouveau est forte.
Et pourtant malgré toutes ces impressions qui existent bel et bien, jusqu’à ce jour, j’ai toujours été enthousiaste de rentrer.
Car si je sais pourquoi je pars, je sais, aussi et surtout, pourquoi je reviens.
Lettre d’amour d’un voyageur à son pays
Chaque retour est une occasion de réaliser l’amour que j’ai de vivre en France, dans ce pays, malgré tous ses travers, qui est fabuleux. Je lui reconnais ses défauts mais ils sont comme ceux d’une famille – prégnants, débordants, exaspérants – mais ils sont ceux de ma famille. Ce sont aussi les miens, j’en prends ma part.
Rien que d’arpenter de nouveau Paris, d’admirer l’aplomb de l’arc de Triomphe, la perspective des champs-Elysées, le génie de Notre Dame, la feuille dorée des invalides, la souveraineté du Pont Alexandre III…. je me retrouve voyageur en mon pays. Il y a si peu de villes où l’empreinte humaine se dessine avec tant harmonie. Et pour avoir traversé beaucoup de régions de France à vélo, à plusieurs reprises, je ne crois pas faire preuve d’un chauvinisme exacerbé quand je dis que l’alliance de nos paysages et de notre patrimoine en fait un pays exceptionnel. Combien de villes, de villages, de campagne, de paysages valent le détour? C’est sans fin. Cela me touche, et cela me toucherait, je le crois, autant si j’étais australien ou péruvien. Et pourtant, je suis plutôt un gars qui est attiré géographiquement par les grandes terres et les larges horizons.
Ce n’est pas tout. Quel bonheur d’entendre soudainement le silence des voitures sans avoir les tympans écrasés par les klaxons, de savoir qu’au moindre souci, pour les nôtres ou pour nous-mêmes, nous avons un parcours de soin excellent et gratuit, de marcher dans des rues propres, de faire couler de l’eau potable, d’avoir internet en haut débit, des petites fleurs entretenues par un jardinier municipal, de manger de la baguette et du fromage… Oh oui! du fromage. Je réalise le privilège d’être né ici.
La capacité de mon étonnement pourrait se poursuivre encore longtemps dans bien d’autres domaines. Tous ces avantages sont une évidence pour nous mais le fait de voyager replace les choses dans leur contexte: notre pays est un petit eldorado qui ne mérite pas le dédain qu’on lui inflige par nos critiques permanentes.
En dernier lieu, je n’oublie pas évidemment la force principale qui me pousse à revenir sur mes terres: ma famille et mes amis. Je ne pars jamais pour fuir quoique ce soit, je suis juste irrésistiblement attiré d’aller voir comment cela se passe ailleurs, d’aller voir en vrai les images que je vois en photo. J’obéis à ma nature pourtant mes départs sont toujours douloureux.
Quand je rentre, il n’y a pas plus grande attente de retrouver les miens, ma femme, ma fille, mes parents, mes amis. Alors quelle tristesse qu’il puisse penser que je reviens l’âme en peine et l’esprit ailleurs. C’est l’inverse. Je réalise malgré la partie vagabonde en moi qui pense déjà au prochain voyage, que le voyage n’est qu’une partie de ma vie. C’est une activité où il faut accepter une ligne d’arrivée. D’autres projets renaîtront. En attendant je sais que je suis bien ici, et qu’une chose est sûre:
« Voyager ne sert pas beaucoup à comprendre mais à réactiver pendant un instant l’usage des yeux » Italo Calvino
Si l’on sait s’en servir, et entretenir sa capacité d’émerveillement, on voyage partout – même dans son village.
A bientôt
_Alexandre
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Comme vous avez raison.
Et oui la France, pays d’harmonie et d’equilibre dans la turbulence de ce monde